#19 Origine et usages de l’appellatif ‘Frère!’

Pourquoi les Français, les jeunes particulièrement, disent-ils « frère ! » à tout bout de champ ?

Frère est un appellatif, c’est-à-dire un mot utilisé pour interpeller un interlocuteur, l’inclure comme destinataire. Son champ sémantique dépasse largement le cadre familial. En latin déjà, frater était un mot polysémique dont le sens excédait la seule relation de sang : par métaphore, les frères étaient les amis, les hommes d’une même génération, d’un même corps politique.

L’utilisation de frère a une valeur de connivence : elle permet notamment de souder les membres du groupe dans une relation d’égalité. Frère a beaucoup de connotations positives : les frères sont égaux, prêts à se défendre, loyaux. Toutes les qualités attendues dans un groupe.

L’usage de « (mon) frère/(mes) frères » est très fréquent dans le christianisme, où il véhicule un modèle de relation entre humains, unis dans un lien de charité : tous les humains sont fils du même Père Céleste et frères en Jésus. Les religieux s’appellent frères/sœurs entre eux. Dans la liturgie catholique, « mes frères » a d’ailleurs été récemment remplacé par « frères et sœurs ».

Dans l’islam aussi, les musulmans sont frères les uns des autres, les musulmanes sont sœurs : cela exprime un idéal d’égalité entre croyants. La façon dont est employé le mot frère dans les quartiers populaires est sûrement influencée par l’arabe magrébin, où khouya/khoh « mon frère » (prononcé rouya/rô) est très couramment utilisé entre hommes.

Par la fréquence de son usage, notamment dans les groupes de jeunes où il est souvent prononcé [fχɛχ] (χ est un son proche de la jota espagnole), on pourrait parler d’un « tic solidaire » générationnel, selon l’expression de la linguiste Julie Neveux. Les femmes aussi utilisent frère entre elles (voir post #17), probablement du fait des connotations positives véhiculées par le mot. (Ma) sœur est assez peu utilisé ; on l’entend plus dans les milieux religieux, chrétiens ou musulmans.

Enfin, frère a acquis plusieurs dérivés et équivalents, ce qui atteste de sa vitalité :

• Frérot (diminutif)

• Reuf (verlan)

• Le sang (à Marseille)

• Frate (en Corse et à Marseille)

• Gros (dans toute la France) > voir post #20

• Bro (de bro(ther))

Histoire de mots #19

Laisser un commentaire