#20 Pourquoi les jeunes s’appellent-ils ‘gros’ entre eux?

Pourquoi les jeunes s’appellent-ils gros ? La jeunesse française ne semble pourtant pas tant touchée par le surpoids…

Gros vient de l’argot des banlieues ; il se généralise dans la jeunesse. Voici la définition qu’en donne le Dictionnaire de la zone : « Terme affectif employé pour désigner une personne comme faisant partie du clan. »

Gros est équivalent de frère. Ils sont employés dans les mêmes contextes et sont interchangeables dans la majorité des occurrences : « Wesh gros, ça va ? », « Vas-y gros ! »

Comme frère, gros peut désigner aussi des femmes, pour éviter l’équivoque avec le peu flatteur grosse ; cela peut aussi conférer un caractère plus « badass » à la relation entre femmes.

Gros apparaît dans les années 90, dans le Val-de-Marne ou en Seine-Saint-Denis, selon les versions. Il se popularise dans les années 2000-2010, notamment par le biais de rappeurs comme le groupe 113 (« Ouais gros » en 1999).

Il a bien existé un Mon gros, appellatif affectif plutôt désuet avec le sens de Mon vieux, mais la filiation avec gros est peu probable. Il existe d’autres hypothèses, plus actuelles, sur son origine :

• Une aphérèse de Né-gro > gro > gros, où né-gro est dénué de caractère raciste. Il aurait emprunté la valeur affective de Nig-ga en anglais, quand il est employé entre membres de la communauté afro-américaine. C’est la thèse du journal Le Parisien

• Une réduction de gros bonnet (caïd, gros voyou). C’est la thèse du journal Libération, et c’est ce qu’indique la chanson Le gros du rappeur Rim K

• Une déformation de Kho (kh- prononcé comme la Jota espagnole), apocope de khouya « mon frère » en arabe, utilisé beaucoup à Alger. Son usage qui recouvre celui de frère, son association fréquente avec des mots d’origine arabe (wesh gros) rendent cette hypothèse assez plausible. On peut aussi mettre en parallèle la transformation kho > gr-o(s) avec khouya > cr-ouille (déformation de khouya utilisée comme insulte anti-arabe) : le [kh], imprononçable pour beaucoup, a été interprété en [gr] ou [kr], assez proches

• Une déformation de l’anglais bro(ther), employé aux USA avec la même valeur affective

Dans 3 hypothèses sur 4, le -s final semble rajouté par rapprochement homophonique avec gros. L’absence de -s dans l’orthographe concurrente gro semble aller dans ce sens – et confirmer donc la non-filiation avec gros.

Histoire de mots #20

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