#21 ‘Wallah’, un mot outil qui sert à corroborer ses propos (et parfois ses mensonges)

J’associerai toujours WALLAH a un trajet en microbus au Caire. Je me souviens d’un chauffeur aux mains très occupées : il conduisait, tenait son portable, faisait le change aux passagers… et ponctuait toutes les phrases de sa conversation téléphonique, visiblement très importante, d’un sonore wallah al’azim.

En arabe, wallahi والله est une contraction de :

wa- و, habituellement « et » mais qui est ici utilisé comme préposition au sens de « par » ;

– et الله Allah-i « Dieu », avec la marque du cas indirect -i, exigée par la préposition.

On pourrait traduire par : « [je promets] par Dieu ». Avec wallahi, on prend Allah à témoin de la véracité de ses propos, on écarte tout doute quant à une possible erreur, au risque de blasphémer. De même, traditionnellement, on n’accole pas de mot vulgaire à wallahi.

En arabe classique/standard wallahi est cantonné au sens de « [attester] par Allah ». Mais l’usage de wallah (le -i tombe souvent) s’est élargi en dialecte, où il est devenu une interjection avec le sens de « j’te jure », mais aussi de « vraiment ». Il est souvent complété par un adjectif qui exprime la grandeur d’Allah : wallah al’azim, litt. « par Allah l’immense ».

En français, wallah et sa variante wullah ont gardé cette valeur illocutoire corroborative, celle de proclamer la vérité absolue d’un énoncé. La valeur religieuse a été partiellement perdue et wallah a pris le statut d’interjection, qu’on peut traduire par « en vrai », « j’te jure ». Wallah est souvent renforcé de façon redondante par son équivalent : « wallah j’te jure », pour renforcer sa valeur de véracité. Et comme beaucoup de mots équivalents, wallah sert parfois… à mentir en feignant la véracité.

En français, wallah a aussi glissé vers une valeur emphatique : « wallah c’est beau » signifie ainsi que c’est vraiment très beau. Il y a enfin une valeur identitaire : wallah est plus utilisé par les personnes d’origine arabe. L’utiliser, c’est exprimer une identité, la partager avec d’autres locuteurs. Cela est d’autant plus vrai quand wallah est prononcé avec l’aspiration finale, signal que le locuteur connaît l’origine arabe du mot. Mais comme wesh, starfullah et d’autres expressions maghrébines, wallah tend à se répandre dans toute la jeunesse française, sans distinction d’origine.

Histoires de mots #21

Laisser un commentaire