#35 D’où vient le -s final de ‘Fils’?

Le Retour du fils prodigue, Rembrandt, 1668

Pourquoi met-on un -s à fils ? En italien on a figlio, hijo en espagnol, filh en occitan, fieu en picard/chti, fillo en portugais. Nulle trace de -s. Et pourtant tous ces mots descendent bien du latin filius.

Le latin a des déclinaisons. Or dans une langue à déclinaison, un mot a différentes terminaisons. Comme certains s’en souviennent peut-être, filiuS est le nominatif, c’est-à-dire la forme du sujet. FiliuM est la forme de l’accusatif, c’est-à-dire la forme du mot quand il est COD.

En latin vulgaire (populaire), filium est devenu filiu, avec la chute du -m final : d’où figlio, fieu, etc. issus de l’accusatif. Dans les langues romanes, la très grande majorité des noms viennent de l’accusatif.

En revanche, le -s final de filS (et de l’anglais FitZ) indique un nominatif. Ici le -s n’est pas une marque de pluriel, mais indique un sujet ou une apostrophe. Pourquoi seul le français a gardé la forme de nominatif ?

Première hypothèse : c’est un mot très fréquemment employé en position sujet ou comme apostrophe « fils ! », deux fonctions qui correspondent au nominatif en -s. Mais cela devrait aussi valoir pour les autres langues romanes. L’espagnol offre un parallèle avec Dios « Dieu » : le maintien du -s de nominatif s’explique parce que Dios est par excellence le mot utilisé en position de sujet ou comme apostrophe « o Dios ! ».

Deuxième hypothèse : le maintien du -s pourrait être lié au souci (inconscient) d’éviter la confusion dans la prononciation avec la fille et le fil. L’accusatif filiu donnerait fil, attesté en ancien français.

Mais aux XVème-XVIIIème siècles, le -s final n’était plus prononcé, sauf en liaison : « le filS_heureux », et en apostrophe « filS ! ». Mais comme ces emplois sont très fréquent et avec une forte valeur affective (pour l’apostrophe), le -s est revenu dans la prononciation.

Enfin, il est fréquent que des mots à forte valeur affective comme les noms de la parenté prennent une prononciation marquée : [fis] à la place de [fi].

La prononciation [fi], jugée correcte par Littré (1873), commence à être perçue comme archaïque au début du XXème siècle. Comme en témoigne Anatole France en 1901 dans Monsieur Bergeret à Paris : « Mademoiselle Lalouette avait d’excellentes manières… Elle parlait bien. Elle avait gardé la vieille prononciation. Elle disait (…) Un fi. »

Histoire de mots #35

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