#36 SALVE LVCRV (« salut le pognon »): les révélations d’une inscription pompéienne fautive…

SALVE LVCRV. Récemment en visite à Naples, j’ai été très amusé par cette inscription en tessons de mosaïque blancs écrite au seuil d’une riche maison de Pompéi – ma petite sœur ne comprenait pas trop l’intérêt que j’avais pour ces quelques mots.

Que peuvent-ils avoir de si fascinant ?

Traduisons d’abord. On pourrait traduire SALVE LVCRV par « Bonjour profit » ou « Salut pognon ». C’est amusant. On imagine le propriétaire, riche commerçant et homme politique fier d’afficher sa richesse. On imagine aussi volontiers qu’il voulait accueillir ses clients et électeurs avec une inscription qui leur promettait un gain facile – à condition de voter pour lui 😉

Le propriétaire était en effet Publius Vedius Siricus, dont on a retrouvé le sceau en bronze dans la maison. C’était un homme politique – notamment cité sur des inscriptions électorales, qui nous indiquent entre autres qu’il s’était présenté aux élections municipales.

En outre, si une telle inscription pavait l’entrée d’une maison, c’est qu’elle était destinée à être vue et lue par le grand nombre. Cela laisse supposer qu’à Pompéi, une très grande partie de la population savait lire, contrairement aux idées reçues qui disent que dans l’Antiquité l’écrit était réservé à une élite. D’autres usages de l’écrit sur les murs de Pompéi étayent une telle conclusion : annonces de spectacles, menu et listes de prix à l’entrée des boutiques.

Enfin, un autre aspect a attiré mon attention : une faute d’orthographe. Eh, oui, les fautes d’orthographe sont particulièrement intéressantes, car elles nous renseignent sur la façon de prononcer réelle des populations anciennes, qui n’ont pas laissé d’enregistrement. Les fautes dévoilent l’évolution de langue orale, là où l’orthographe normée reste conservatrice.

Ceux qui ont fait du latin savent qu’il faudrait écrire SALVE LVCRVM, avec un -M – et non LVCRV. La chute du -M du neutre (ou de l’accusatif), largement attestée, caractérise l’évolution du latin oral ou vulgaire. Des inscriptions comme celle de Pompéi sont particulièrement précieuses car elles nous permettent de dater ce phénomène. Cela témoigne de la transformation du système de déclinaisons et de genre latin.

Et c’est cette chute du -M, qui va de pair avec une réduction des déclinaisons, qui va donner les formes de noms de nos langues romanes, tous (ou presque) issus d’accusatifs et neutres dont le -M a disparu : lupum>lupu>fr.loup/it.lupo, lucrum> lucru> it.lucro/fr.lucre, rosam>rosa>rose.

Histoire de mots #36

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