#57 Pourquoi tant de noms propres en -y en français ?

J’ai toujours cru que le Prince de Conti, protecteur de Molière, était italien. Car pour moi, un nom propre en  <i> final était forcément italien ou corse. Un nom propre français se terminant par le son [i] se devait de terminer par <y>. Les noms de lieux : Issy, Savigny, Etrechy, Etigny (pour l’origine du suffixe-y, cf. post #30). Ainsi que les noms de famille : Bellamy, Gay, Bailly, Leroy, Lamy, Joly. Et Conti, qui fait exception, est bien français et devrait s’orthographier Conty.

Clarté de l’écriture gothique: Bible de Malmesbury, calligraphiée en Belgique par Gerard Brils, en 1407.

Le <y> final est en fait une pratique graphique qui remonte au Moyen-âge. L’écriture gothique, la plus employée par les scribes, posait en effet des problèmes de lisibilité. C’est une graphie fondée sur des barres verticales ou jambages.

« minim » en gothique, mot composé de dix barres verticales appelées minim

Beaucoup de lettres étaient exclusivement constituées de jambages, avec des ligatures souvent difficiles à repérer : m, n, i (une barre sans point), v. Certains mots étaient vraiment compliqués à lire.

C’est la raison pour laquelle on a changé, rajouté des lettres pour rendre le texte (français, anglais, mais jamais latin) plus lisible. Ces pratiques ont laissé pas mal de traces dans les orthographes anglaise ou françaises.

En français donc, l’habitude a été prise de noter le son [i] à la fin du mot par <y>, à la fin du Moyen-Âge et à l’époque moderne. D’où roY, loY, joYe, voicY dans les éditions anciennes.

graphies avec et sans <y> final


Pourquoi ? le <y> est beaucoup plus lisible. Il a une hampe qu’on peut allonger, enspiraler, etc. MOY est beaucoup plus lisible que MOI dans une graphie gothique ou hâtive. Le <y> aide le lecteur à reconnaître immédiatement le mot – et lire c’est en grande partie reconnaître des mots qu’on connaît déjà.

Voilà pourquoi on écrivait JOLY, FRANÇOYS, VAYSSIERE, etc. Le -y final est abandonné en 1709 au profit du -i final, plus phonétique. Mais cette graphie est demeurée pour les noms propres en français. On écrit donc : « Monsieur Lamy et l’ami de mon père ».

Edit de Villers-Cotterêts par le Roy Françoys

En anglais en revanche, cette pratique grapique médiévale s’est maintenue. Tous les -i brefs finaux sont notés avec <y>, aussi bien pour les noms propres que pour les noms communs, adjectifs, adverbes : « merry day of May ». Quand le -i final est long en revanche on le note avec <ee> (bee), <ea> (tea) ou <ey> (honey). Voilà, c’est easyyy !

Histoire de mots #57

Une réponse à « #57 Pourquoi tant de noms propres en -y en français ? »

  1. Avatar de MisS'Tina
    MisS’Tina

    L’anglais n’est pas la seule langue à adorer le y! D’ailleurs le y permet souvent de se démarquer (même culturellement et politiquement!) après des tentatives de disparition.
    L’afrikaans se démarque du néerlandais en remplaçant le « ij » en « y ».
    Les bavarois le réintroduisent aussi au XIXème siècle « Baiern » redevient « Bayern ». Louis II de Bavière utilisait le y dans ses échanges épistolaires avec Bismarck.
    Le suisse-allemand écrit (helvétisme) se démarque de l’allemand (à la place du i ou ei). Il y a beacoup de noms de famille avec un Y.
    Et on s’éloigne mais je pense à l’usage du Y en SavoYe et à LYon qui vient du francoprovençal, à la place du « le »: « Je vais Y faire »…

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