#71 Mamadou, Fatoumata, Ibrahima: pourquoi les prénoms musulmans du Sahel se terminent par -a ou -ou?

Vous vous souvenez sans doute quand ce … d’Eric Z a dit à Hapsatou Sy que son prénom était une insulte à la France. Pour ma part, n’ayant aucun jugement à porter sur ce prénom, que je trouve très beau, j’ai préféré me demander comment on était passé du prénom arabe HAFSA à HAPSATOU.

Comme beaucoup d’autres prénoms musulmans du Sahel (Mali, Sénégal, Guinée, etc.), apportés en France par l’immigration, HAPSATOU apparaît comme l’adaptation d’un prénom arabe avec les terminaisons -a, -u, -i, -ta, -tu (MAMADOU, SALIMATA, etc.). Mais pourquoi ces terminaisons ?

Ce sont en fait des désinences casuelles, des marques de déclinaison, comme en latin ou en allemand 😉

Quand l’islam s’est diffusé au Sahel, les populations de langues wolof, mandingue, peule, songhai, etc. ont été peu exposées à l’arabe parlé, mais étaient en contact avec l’arabe écrit à travers le Coran et d’autres textes sacrés.

Mosquée de Djenné au Mali, 2003

Dans ces textes, les désinences casuelles sont notées et prononcées lors de la récitation : -u signale un sujet, -a signale un COD et -i signale un complément du nom/un mot précédé d’une préposition. Ainsi, en arabe classique on a :

نَدى اَللهُ هارونَ اِبنِ عُمَرِ

Nada Allah-u Haroun-a ibn Umar-i , litt. « Dieu appela Haroun fils d’Omar » (phrase inventée mais plausible)

Ou encore:

فَوَلَدَ مُحَمَدُ فاطِمَةَ

Fa-walada Muhammad-u Fatimat-a, litt. « Muhammad engendra Fatima » (phrase inventée mais plausible)

Mais ces désinences ne sont (presque) pas prononcées dans la langue parlée. La même phrase donnerait : « nada Allah Haroun ibn Umar », sans -u, -i, -a. Mais comme les musulmans africains n’étaient pas exposés à l’arabe parlé, mais à l’arabe coranique, ils ne pouvaient pas le savoir.

Ainsi, quand ils ont adaptés les prénoms musulmans, ils ont conservé les marques casuelles comme partie intégrante du mot – ce qu’elles ne sont pas en arabe.

Ainsi les marques de cas sujet, -u au masculin/-tu au féminin, sont conservées dans :

MAMADOU (< Muhammad-u), ALIOU (< ‘Ali-u), SALIFOU (Salif), etc. ; BINTOU (bint « fille »), KADIDIATOU (Khadija), HAPSATOU (Hafsa « petite lionne ») , AISAATOU (Aïcha) pour le féminin

-les marques de cas direct, -a au masculin/-ta au féminin sont conservées dans IBRAHIMA (Ibrahim), IDRISSA (Idriss), etc. ; SALIMATA (Salima), FATUMATA (Fatima), AMINATA (Amina) au féminin.

– la marques de cas indirect -i/-ti est plus rare, mais on l’a dans ABDOULAYE (de Abd-ullahi « serviteur de Dieu » vs Abdallah)

C’est un bel exemple de la façon dont, dans le passage d’une langue à l’autre, des éléments grammaticaux peuvent être lexicalisées pour devenir partie intégrante du mot.

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