#78 A l’origine du mot « orthographe »… une faute d’orthographe

Oui, à l’origine, ORTHOGRAPHE est bien une faute, une aberration ; il aurait fallu dire ORTHOGRAPHIE. En forçant le trait, on pourrait dire que « faute d’orthographe » est un pléonasme… Plutôt ironique pour un terme qui renvoie au bien écrire.

A l’origine, on a le grec ὀρθογραφία, de ortho- « droit » et graphia- « écriture ». Ce mot est passé en latin sous la forme ORTHOGRAPHIA. Il apparaît en français comme une adaptation du latin sous la forme ORTOGRAFIE vers 1250, qui est un mot adapté du latin. ORTOGRAFIE a déjà le sens de « manière d’écrire correctement ». A noter que l’ancien français privilégiait une graphie phonétique.

Etrangement, on voit apparaître en 1529 la forme ORTHOGRAPHE chez l’imprimeur Geoffroy Trory dans son traité Champfleury sur la forme des lettres.

Erreur de scribe ? Coquille d’imprimeur (apparue dans un traité sur le bien écrire…) ? Cette faute est difficile à expliquer. On pourrait aussi penser qu’ORTHOGRAPHE est pris comme adjectif, avec ommission du substantif : « la [science] orthographe”. Mais dans ce cas-là, on aurait plutôt ORTHOGRAPHIQUE, sur le modèle de PHYSIQUE.

Cette faute est d’autant plus bizarre que la Renaissance est une époque où le niveau en grec et latin s’améliore considérablement. Les auteurs restaurent souvent l’orthographe (!) antique et empruntent de nombreux mots grecs et latins, en en préservant la forme. Ainsi, ils prennent la peine de remplacer ORTOGRAFIE par ORTHOGRAPHE, avec les lettres étymologiques th et ph.

Encore plus étonnant est le fait que ce qui n’était qu’une simple coquille s’impose. Dans les premiers dictionnaires, ORTHOGRAPHE est encore jugée fautive. C’est ce que fait remarquer Vaugelas dans ses Remarques sur la langue française (1647):

Quoiqu’en grec et en latin on dise orthographia, nous disons pourtant orthographe ; et, quoique nous disions orthographe, nous ne laissons pas de dire orthographier, et non orthographer

Puis, suivant sans doute un usage établi, la forme orthographe est acceptée dans le premier dictionnaire de l’Académie en 1694. ORTHOGRAPHIE n’est désormais plus qu’un terme d’architecture.

Morphologiquement, ORTHOGRAPHE est profondément irrégulier. Il désigne un concept, tout en présentant le suffixe -graphe normalement réservé à des agents, comme on peut le voir dans les paires calligraphe/calligraphie, géographe/géographie, etc. Il n’y a pas de paire possible orthographe/orthographie., et donc aucun mot pour désigner celui qui écrit correctement.

En somme, cet étrange mélange d’illogisme, d’aberration et d’étymologisme apparaît comme une belle illustration des paradoxes de l’orthographe française.

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