La Pentecôte est la fête catholique que je préfère. C’est la fête de l’Esprit Saint, mais c’est aussi le festival des langues. La fête des linguistes en somme.
La Pentecôte est la fête qui a lieu 50 jours après Pâques, d’où son nom en grec Pentekostè πεντηκόστη ἡμέρα « le cinquantième [jour] ». En hébreu, c’est Chavou’ot שבועות, la « fête des semaines » – qui avait lieu 7 semaines après Pâques. C’était à l’époque un des principaux pèlerinages juifs vers Jérusalem, d’où la présence cruciale de Juifs du monde entier lors de cet épisode du livre des Actes des Apôtres, chapitre 2 (je cite la traduction officielle liturgique).

Les disciples sont réunis à Jérusalem dans une maison. Jésus est mort et ressuscité. L’Esprit Saint apparaît sous formes de langues de feu (glôssa γλῶσσα dans le texte grec original désigne à la fois l’organe de la parole et le langage), qui se posent sur les disciples, qui soudain se mettent à parler les langues du monde entier.
03 Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu, qui se partageaient, et il s’en posa une sur chacun d’eux.
04 Tous furent remplis d’Esprit Saint : ils se mirent à parler en d’autres langues, et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit.
Les Juifs du monde entier présents à Jérusalem s’étonnent de comprendre dans leurs langues maternelles les disciples, qui ne sont que des « Galiléens » (entendre des Ploucs).
J’adore la liste des peuples et contrées qui suit. Cette liste nous donne une idée des pays d’implantation des Juifs de l’époque, et donc des langues qu’ils parlaient. Cette liste nous donne aussi une idée des langues qui « comptaient » à l’époque, des langues sur lesquelles il fallait investir pour l’Évangélisation.
Cliquez ici pour ouvrir la liste des peuples citées dans le texte:
08 Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans son propre dialecte, sa langue maternelle ?
05 Or, il y avait, en séjour à Jérusalem, des Juifs religieux, venant de toutes les nations sous le ciel.
06 Lorsque ceux-ci entendirent la voix qui retentissait, ils se rassemblèrent en foule. Ils étaient en pleine confusion parce que chacun d’eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient.
07 Dans la stupéfaction et l’émerveillement, ils disaient : « Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ?
09 Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, de la province du Pont et de celle d’Asie,
10 de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Égypte et des contrées de Libye proches de Cyrène, Romains de passage,
11 Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes, tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu. »
Que parlait-t-on donc chez les peuples et régions cités ?
> On commence avec l’Iran et la Mésopotamie, dominés par les Parthes, à l’Est – et la Judée :
9 Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée
- Par le terme Parthes, l’auteur veut sans doute désigner les Perses, dominés par une dynastie parthe à l’époque. Il s’agit donc du moyen-perse (phase intermédiaire entre le vieux-perse et le persan), et du parthe (†) qui est une langue iranienne différente, mais proche;
- La langue des Mèdes était parlée dans le Nord-ouest de l’Iran. C’est aussi une langue iranienne proche du perse;
- L’élamite (†) était une langue parlée dans le Sud-Ouest de l’Iran, à la frontière avec l’Irak, dans la région de Suse ; c’est un isolat qu’on n’a pas réussi à rapprocher d’autres langues connues;
- Mésopotamie (sous domination parthe) : on y parlait araméen et peut-être encore un peu chaldéen (=babylonien, †), surtout dans les milieux religieux. Ce sont des langues sémitiques. Le perse y était aussi répandu;
- Judée : on y parlait araméen, mais des communautés juives continuaient aussi à y pratiquer l’hébreu.

> On passe ensuite à l’Anatolie :
9 (…) [habitants] de la Cappadoce, de la province du Pont et de celle d’Asie,
10 de la Phrygie et de la Pamphylie
- Cappadoce : on devait y parler grec et perse, et peut-être des restes de langues anatoliennes (†) (langues indo-européennes éteintes, dont le hittite est le représentant le plus célèbre)
- Pont : on devait y parler grec, perse et des langues anatoliennes (†); peut-être aussi un peu arménien à l’Est et galate (une langue celtique proche du gaulois) plus au Sud;
- Phrygie : on y parlait phrygien (†), une langue indo-européenne proche du grec) et grec;
- Pamphylie : on y parlait le pamphylien, sans doute un dialecte local du grec;
- Asie (= Ouest de l’Anatolie) : on y parlait grec, le dialecte ionien plus précisément.

>L’horizon s’élargit ensuite vers l’Ouest et le Sud:
10 (…) [habitants] de l’Égypte et des contrées de Libye proches de Cyrène, Romains de passage,
11 Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes, tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu. »
- Juifs de naissance: en Palestine et en diaspora, de langue grecque et araméenne principalement;
- Juifs convertis (ou prosélytes): en majorité hellénophones, dans les grandes métropoles de tout l’Empire (Rome, Antioche, Alexandrie, etc.);
- Égypte : on y parlait égyptien (†) et grec (notamment à Alexandrie)
- Libye proche de Cyrène : grec et sans doute aussi numide, une langue berbère, et peut-être aussi punique (†) (langue sémitique, parlé par les Carthaginois);
- Crétois : grec (dialecte local);
- Arabes: arabe parlé dans la péninsule arabique et le désert du Sud, notamment pas les Nabatéens à Pétra, ou encore à Palmyre;
- Romains : latin.

On peut retenir plusieurs choses de cette liste
- Le texte se concentre sur les régions orientales de l’Empire romain, l’Occident, peu connu, n’étant cité qu’à travers les Romains;
- Les Grecs ne sont jamais mentionnés en tant que tels; la langue grecque, la koinè, était alors une langue répandue partout, l’anglais de l’époque, qui n’était plus la langue des seuls Grecs de Grèce. Le grec était notamment répandu dans la diaspora juive ;
- Les régions hellénophones citées (Crète, Phrygie, Pamphylie, Cappadoce, Cyrénaïque, Asie) sont périphériques; elles avaient sans doute des variétés de grec dialectal assez marquées par rapport à la koinè;
- En réalité, les Juifs de la diaspora devaient surtout parler grec et araméen, peut-être aussi parthe et égyptien. Ils devaient rarement parler les langues locales, dans la mesure où ils constituaient une population surtout urbaine. Les Juifs convertis devaient parler, en plus du grec, encore d’autres langues comme le latin;
- L’étonnement des Peuples présents vient alors sans doute pas tant d’entendre les disciples (de simples Galiléens à l’accent épais) parler araméen ou grec (ce qui équivaut à parler anglais et espagnol), mais de parler grec et araméen en adoptant leurs propres dialectes et accents : grec crétois, araméen babylonien, grec cappadocien, etc. C’est ce qui est sans doute signifié par l’expression τῇ ἰδίᾳ διαλέκτῳ « dans leur propre dialecte » (Actes 2, 6).
Cet épisode est un Babel inversé. La confusion des langues, symbole de division de l’humanité déclenchée par l’épisode de la Tour de Babel, est résorbée. L’humanité retrouve son unité, non dans la langue unique perdue dans la confusion infligée par Dieu, mais dans la multiplicité des langues.
Enfin, à travers la diversité linguistique évoquée, ce ne sont pas seulement le grec et l’araméen, langues de la diaspora juive, mais aussi les langues des nations païennes qui sont mises en avant. C’est un signe fort d’universalité: le message du Christ est destiné à franchir les frontières d’Israël et à se répandre parmi tous les peuples.
Une belle célébration de la diversité linguistique en somme, qui peut toucher croyants et non-croyants!

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